L’audiovisuel public en France est promis à une nouvelle réforme qui vise cette fois-ci notamment à bonifier les programmes régionaux, à investir dans le numérique pour reconquérir la jeunesse et à protéger les budgets de création pour les séries, les films et les documentaires. Pourquoi cette réforme, qui ne semblait pas annoncée ?

Elle est le fruit d’une étrange coutume selon laquelle, depuis longtemps déjà, les réformes audiovisuelles ne cessent de se succéder : 1975, 1982, 1986, 1989, 2002, 2004, 2006, 2007, 2009, 2016 et… 2018 ou plus tard. Le nombre de ces réformes manifeste autant des mutations régulières que des formes d’inertie.

S’il ne s’agit donc pas de la première fois que la France tente de réformer son audiovisuel public, il n’y a toutefois pas eu de « grande » réforme de l’audiovisuel public depuis longtemps. Jusqu’à présent, une structuration lente et progressive a eu lieu, notamment avec la création du groupe France Télévisions en 2000, qui regroupe actuellement – outre les deux chaînes « historiques » France 2 et 3 – France 4, France 5, France Ô et RFO. Il y a certes eu des réorganisations internes, qui se sont montrées difficiles à mener en raison de l’introduction des techniques numériques et des droits, obligations et acquis accumulés par les employés au fil des ans. Mais la réforme projetée tente enfin, pour une fois, de (re)trouver des synergies, quoique sous l’ombre cependant repoussante de l’ancien Office de radiodiffusion-télévision française (ORTF), un organisme public qui regroupait tout l’audiovisuel public et qui s’est trouvé sous la main de gouvernements successifs.

Une cure de jeunesse ?

La réforme actuelle vise à renforcer l’attrait de l’audiovisuel public auprès des jeunes, notamment en retirant la chaîne généraliste France 4 de la télévision hertzienne pour privilégier plutôt une diffusion web. Notons que les programmes de France 4 en tant que chaîne hertzienne sont déjà disponibles en rediffusion numérique.

Cette « délinéarisation » de France 4 est un défi qui repose sur une meilleure audience dans le grand bain numérique, même face à la concurrence de YouTube ou de Netflix. Mais la formation générationnelle des consommations et des goûts pourrait conduire à une désaffection irrémédiable et accélérée des plus jeunes pour la télévision dans son ensemble, et ce, à grande vitesse, comme l’expérience du passage de BBC Three en numérique l’a démontré en menant à un vieillissement du public.

Miser sur le numérique

Plus généralement, dans cette réforme, ce sont toutes les entreprises de l’audiovisuel public qui ont été engagées à miser davantage sur le numérique. Les enjeux concernent plusieurs questions, dont une des plus importantes est celle des offres parallèles sur Internet.

L’audiovisuel public, à l’instar des chaînes commerciales, a fait comme la tortue face au lièvre de La Fontaine. Nous avons donc assisté à certaines tentatives qui ont mené à des succès, à des erreurs et à des coûts, toujours bien entendu, mais dans l’ensemble surtout à des résultats mitigés. La difficulté, c’est qu’il s’agit pour tous ces joueurs, un peu comme c’est le cas d’ailleurs avec les chaînes de distribution physique de biens culturels physiques, d’investir dans un canal directement concurrent… ce qui ne s’improvise pas.

De plus, le modèle économique dominant, celui de médias de masse communautaires et interactifs qu’il convient de créer en articulant ces canaux, est difficile à réaliser. Si la pente est déjà prise et bien connue, elle appelle cependant, en tant que tel, non pas une réforme législative mais bien l’obligation de savoir gérer le changement continu et les innovations. Elle implique surtout un financement massif en promotion et en marketing pour avoir une chance d’exister à l’heure de l’économie de l’attention.

Il faut prendre garde au fait que dans les médias audiovisuels et numériques, le numérique coûte très cher. Nous parlons par exemple d’acquisition des droits (films, séries, matchs sportifs, etc.) et de recrutement d’abonnés, ce qui suppose de lourds investissements.

Protéger la production

La sanctuarisation promise par la réforme, soit la protection de la production, semble être un objectif atteignable, puisque « sanctuarisation », d’un point de vue budgétaire, signifie simplement une absence de progression. Or, les programmes audiovisuels ne sont pas exempts d’inflation, notamment pour les séries qui ont de l’ambition et qui entendent s’exporter. Comme la mission économique traditionnelle de la politique de communication audiovisuelle consiste à soutenir « une industrie nationale de programmes », il s’agit d’une question majeure au regard du marché des droits audiovisuels et de l’entrée en force des géants du Web.

Évidemment, cette sanctuarisation sera sous le regard des acteurs professionnels de la production audiovisuelle et cinématographique, car c’est surtout sur les coûts de structure des entreprises, par exemple les conditions sociales et l’organisation de la production, laquelle a des répercussions non négligeables sur l’emploi culturel, que les économies auront à porter.

Maintenant, cette réforme risque-t-elle d’avoir des échos ailleurs dans le monde ? À ce stade, il est à craindre que non, sinon peu. Elle s’inspire plutôt de réformes qui ont déjà eu lieu ailleurs – en Grande-Bretagne, en Italie, aux États-Unis ou encore au Canada – et qui tendent à une rationalisation financière de l’audiovisuel public. Largement compréhensible et légitime d’un point de vue budgétaire, ce mouvement, toutefois, s’est rarement réalisé en considérant le vecteur structurant qu’occupe l’audiovisuel public d’un point de vue tant culturel qu’informationnel ou industriel. Sa fonction démocratique et informationnelle n’a pas encore été assez valorisée à l’ère des fausses nouvelles et de l’effondrement de la presse quotidienne.

Ces réformes ont donc pu obtenir des résultats en matière de budget, mais elles ont également eu tendance à accompagner l’affaiblissement programmé du secteur public audiovisuel. Dès lors, elles ont favorisé une anticipation autoréalisatrice ou une rétrospection stérile, à savoir que « le service public audiovisuel est trop coûteux pour ses missions », qui n’ont pourtant jamais été revisitées parallèlement ou de façon prospective. De ce point de vue, les synergies attendues à l’échelon régional devront être analysées de très près.

La réforme française a donc été annoncée. Il lui faudra maintenant un certain temps pour qu’elle puisse évoluer et porter un souffle inspirant ailleurs qu’en France.

Philippe Chantepie

Philippe Chantepie est chercheur associé à la Chaire « Innovation et régulation des services numériques » (Télécom ParisTech/École Polytechnique/Orange) et inspecteur général des Affaires culturelles à l’Inspection générale du ministère de la Culture de la France.

Article écrit en collaboration avec Simon Lord