Les créateurs et autres titulaires de droits d’auteur sont nombreux à exiger des changements à la loi fédérale qui régit cette forme de propriété intellectuelle. Que demandent-ils ? Et pourquoi ? Une chose est sûre : même si un comité parlementaire étudie cette question à l’heure actuelle, il reste bien du chemin à parcourir avant qu’un changement législatif ne se concrétise un jour. Survol des enjeux.

Le 13 décembre 2017, le gouvernement fédéral votait une motion destinée à amorcer l’examen parlementaire de la Loi sur le droit d’auteur et confiait cette tâche au Comité permanent de l’industrie, des sciences et de la technologie. Si cet examen était déjà prévu par la loi – l’article 92 stipule que le gouvernement doit procéder à un examen de l’application de cette loi tous les cinq ans –, il demeure que cette analyse très attendue est réclamée avec insistance par les représentants des secteurs d’activité concernés par la question des droits d’auteur.

Pourquoi les titulaires et les utilisateurs de droits tiennent-ils autant à cette refonte législative ? Ils sont entre autres mécontents des changements apportés à la loi lors de la dernière révision, en 2012. Celle-ci a notamment élargi la notion d’exception d’utilisation équitable, c’est-à-dire les conditions auxquelles une œuvre peut être utilisée ou copiée légalement sans que l’utilisateur ait à payer quoi que ce soit. Les modifications effectuées en 2012 n’étaient pas négligeables : le nombre d’exceptions a presque doublé. C’est énorme. Par conséquent, la rémunération des créateurs a fortement diminué.

Une des exceptions qui ont été étendues concerne les établissements d’enseignement. Avant 2012, ceux-ci pouvaient utiliser des œuvres sans frais à certaines conditions très strictes. Mais les changements apportés ont considérablement assoupli ces conditions. Comme le texte de la loi était sujet à interprétation, cette affaire s’est vite retrouvée devant les tribunaux. Aujourd’hui, certains utilisateurs veulent des exceptions sans restriction, d’autres demandent de nouvelles exceptions alors que les titulaires de droits souhaitent que des exceptions soient abolies ou encore limitées et assujetties à des redevances.

Une question de rémunération

Ce qui préoccupe avant tout les titulaires de droits, c’est la question de la rémunération. En effet, leurs revenus ont chuté de façon draconienne depuis quelques années à cause du piratage et des nouveaux modes d’utilisation numérique des œuvres.

Les représentants de plusieurs secteurs demandent notamment que soit actualisé le régime de copie pour usage privé. De quoi s’agit-il ? À l’époque des cassettes et des CD, un certain montant était prélevé sur chaque vente de ces supports vierges puisque ceux-ci servaient entre autres à copier de la musique. Les sommes ainsi perçues – des millions de dollars – étaient ensuite redistribuées aux créateurs. Mais ce régime n’a pas suivi l’air du temps. Aujourd’hui, les créateurs aimeraient que les tablettes, les ordinateurs et autres appareils numériques utilisés pour copier des œuvres comme de la musique, des films, des séries ou des livres fassent eux aussi l’objet d’une redevance prélevée à la source.

Dans le même ordre d’idées, les ayants droit voudraient également voir contribuer davantage les intermédiaires du secteur numérique, soit les fournisseurs d’accès à Internet, les fournisseurs de services de téléphonie mobile, les fournisseurs d’hébergement Web et les fournisseurs d’outils de recherche comme Google, pour ne nommer que ceux-là. En effet, pour le moment, ces entreprises engrangent des revenus considérables grâce aux contenus disponibles en ligne, mais sans verser la moindre compensation financière aux créateurs.

Par ailleurs, les créateurs canadiens réclament aussi que la durée de protection de leurs droits  soit prolongée jusqu’à 70 ans après le décès de l’auteur, comme c’est le cas aux États-Unis et en Europe. Ici, la loi limite la portée de ce droit à 50 ans. Le gouvernement fédéral vient de s’engager à apporter ce changement dans le cadre du nouvel Accord États-Unis–Mexique–Canada. On sait donc au moins que cette modification aura éventuellement lieu.

Rendez-vous dans dix ans ?

Les témoignages devant le Comité permanent de l’industrie, des sciences et de la technologie vont bon train. Ceux des intervenants du secteur culturel dans son ensemble viennent de prendre fin. Ils ont été suivis des interventions de représentants d’autres secteurs d’activité et, à compter de la fin du mois de novembre, suivront celles d’experts juridiques. Toutes les consultations du Comité, ainsi que celles du Comité permanent du Patrimoine canadien pour son étude sur les modèles de rémunération, devraient être complétées d’ici le début de 2019. À quoi peut-on s’attendre par la suite ?

Le processus n’en est qu’à ses débuts. Après avoir écouté les représentants de tous les secteurs concernés, le Comité permanent soumettra un rapport au gouvernement fédéral, qui devrait ensuite y répondre en indiquant les changements qu’il s’engage à réaliser. Au bout du compte, le gouvernement fédéral pourrait déposer un projet de loi. Mais tout cela risque de durer un bon moment. Par exemple, les modifications apportées à la loi en 2012 ont résulté de consultations entamées en 2001. Il faudra donc patienter plusieurs années avant que les consultations actuelles ne mènent à une révision de la loi, sans compter que l’orientation de tout ce projet pourrait bien changer en fonction du résultat des prochaines élections.

Brigitte Doucet

Brigitte Doucet est avocate spécialisée en droit d’auteur.

Article écrit en collaboration avec Simon Lord