Les quinze dernières années ont été difficiles pour les industries culturelles, frappées de plein fouet notamment par le piratage en ligne. Si ce secteur d’activité se remet peu à peu sur pied, les défis auxquels il doit faire face demeurent considérables. Examen des trois principaux enjeux.

Le premier enjeu auquel les industries culturelles doivent s’attaquer à l’heure actuelle est celui de la technologie, qui représente un couteau à double tranchant. D’un côté, en effet, les progrès dans ce domaine s’avèrent très positifs pour le consommateur, qui a maintenant accès à des produits culturels beaucoup plus facilement qu’auparavant. Par exemple, alors qu’il devait naguère se rendre en librairie pour acheter un livre et, si celui-ci ne s’y trouvait pas, le commander et l’attendre plusieurs jours, il peut aujourd’hui le lire en ligne de façon quasi instantanée.

De l’autre côté, si les avancées technologiques sont parfois avantageuses pour le producteur, il est indéniable qu’elles sont souvent la cause de bien des soucis. Ainsi, la venue du web a fortement démocratisé la culture : de nos jours, il est plus facile que jamais, pour un petit producteur de contenu, d’explorer des avenues créatives à faible coût. Grâce aux téléphones intelligents, n’importe qui peut maintenant réaliser un film qui pourrait éventuellement – qui sait ? – devenir viral. Même chose dans le cas d’un jeune musicien : il peut aujourd’hui enregistrer et publier son contenu très facilement sur des plateformes comme YouTube.

Toutefois, cet éclatement des barrières à l’entrée constitue une réalité bien cruelle pour les grands joueurs traditionnels, qui doivent tout à coup affronter une armée de nouveaux concurrents plus petits. Auparavant, lorsqu’on voulait percer dans le milieu de la musique, il fallait réaliser et diffuser un CD ou un disque vinyle. C’était coûteux, ce qui réduisait d’emblée le nombre de concurrents potentiels. Idem dans le domaine du livre : pour publier un roman, un auteur devait passer par un éditeur. Mais aujourd’hui, ces deux artistes – le musicien et l’écrivain – peuvent publier et diffuser eux-mêmes leurs œuvres, sans intermédiaires.

De local à mondial

Le deuxième enjeu découle du premier : il s’agit de la mondialisation. Grâce aux nouvelles technologies, les producteurs culturels ne sont plus limités à leurs marchés locaux : ils peuvent maintenant faire connaître leurs œuvres partout dans le monde avec une facilité inédite à ce jour. Le hic, c’est que tous les autres producteurs disposent aujourd’hui des mêmes moyens. Par conséquent, la concurrence est beaucoup plus féroce. Bien que les possibilités soient plus vastes que jamais, il est beaucoup plus difficile de les mettre à profit.

Pour le consommateur, la mondialisation a surtout des aspects positifs : il peut facilement trouver ce qui risque le plus de l’intéresser, qu’il s’agisse de musique russe ou de littérature du Moyen-Orient. Mais que font les artistes devant le phénomène de la mondialisation ?

Plusieurs réagissent avec enthousiasme. Certains auteurs, par exemple, sautent sur l’occasion et font traduire leurs livres pour les commercialiser sur d’autres marchés, ce qui leur confère une plus grande visibilité. Mais d’autres voient toujours la langue comme une barrière et, tout en reconnaissant que les pays étrangers peuvent parfois être une source non négligeable de revenus, décident de baisser les bras, car il s’agit en général de petits marchés où il peut être difficile de percer.

Débourser, mais pas trop

Le troisième et dernier enjeu, qui résulte des deux premiers, est bien sûr celui de la rentabilité : comment peut-on parvenir à vivre de ses œuvres ? Chaque artiste doit aujourd’hui trouver un moyen de tirer profit de son offre culturelle, ce qui s’avère parfois difficile compte tenu de l’ouverture des marchés et de la suppression progressive des barrières technologiques.

Tout ça sans compter que bien des joueurs traditionnels ont de la difficulté à comprendre et à anticiper les exigences des consommateurs. Les jeunes, par exemple, ne se détournent pas de la culture, contrairement à ce qu’on entend parfois. S’ils vont moins au cinéma, c’est parce qu’ils préfèrent écouter des séries entières à la maison. Et ils ne veulent pas s’abonner au câble : pour eux, la nouvelle chaîne de télévision, c’est YouTube ou Netflix. La culture n’est plus un produit : elle est devenue un service.

Les milléniaux s’abonnent de plus en plus à des services comme ceux offerts par Spotify et par iTunes et déboursent de plus en plus d’argent pour y avoir accès. Si le problème du piratage et des téléchargements illégaux reste bien réel, il s’est heureusement atténué au cours des dernières années, car les grandes entreprises du secteur culturel permettent maintenant aux mélomanes de se créer des listes d’écoute personnalisées et de découvrir facilement de nouveaux artistes.

Mais les nouveaux médias comme Spotify et iTunes ne sont pas les seuls à connaître du succès. Du côté des médias traditionnels, le New York Times a affirmé avoir réalisé des profits de 24 M $ US au deuxième trimestre de 2018 et avoir attiré 109 000 nouveaux abonnés numériques. Pourquoi les lecteurs sont-ils tout à coup prêts à payer ? Parce que ce quotidien a investi dans son contenu.

Aujourd’hui, lorsqu’ils prennent l’avion, bien des gens apportent leur tablette : ils peuvent ainsi consulter le journal, lire un livre, écouter une émission de radio en baladodiffusion et même regarder un film ou une émission de télé. Ce sont là de belles expériences, et c’est pour cette raison que les gens sont de nouveau disposés à payer. La clé se trouve dans la création de valeur ajoutée.

Johanne Brunet

Johanne Brunet est professeure titulaire au Département de marketing de HEC Montréal et membre associée de la Chaire de gestion des arts Carmelle et Rémi-Marcoux.

Article écrit en collaboration avec Simon Lord