Nous vivons actuellement une crise sans précédent.

D’entrée de jeu, vient bien naturellement à l’esprit l’épisode de pandémie qui nous affecte tous. Et pourtant, même si cette dernière amplifie un climat anxiogène et toxique, nous gardons en nous l’espoir qu’elle prendra fin. Un vaccin, tôt ou tard, viendra à bout de cette pandémie-là.

Mais, vous l’aurez compris, je veux évoquer ici une toute autre crise, infiniment plus complexe à saisir et contre laquelle il n’existe malheureusement pas de vaccin, une situation qui nous oblige individuellement et collectivement à revoir notre copie! L’éthique, la morale, les comportements en milieu de travail, bref, ce que nous appelons les « relations humaines », sont au cœur de ce débat. Un débat mis à la une de l’actualité par différents mouvements de dénonciations sur les médias sociaux.

Dénonciation

Ce mot contient en soi un aspect « malaisant ». Il réfère à la délation publique, à une mise au ban quasi sans appel. Faute d’impossibles règles à établir dans le bon usage (éthique) des médias sociaux, voici la justice face à un vide d’actualisation d’un genre inconnu. Et, ne nous y trompons pas, les médias sociaux ne sont pas en soi la raison de cette crise. Ils ne représentent, à mon avis, qu’un recours parallèle qui permet aux victimes de s’exprimer sur des inconduites humaines qu’on ne peut prendre à la légère, avec l’immense faiblesse de jeter plus de flou que de netteté dans la façon de résoudre cette crise. Une situation très lourde de conséquences pour la réputation des firmes ou des individus concernés. Que se passe-t-il ? Comment gérer tout cela ? La situation semble échapper à toute logique. Le chemin des crédibilités est-il à ce point miné qu’il mette en péril la confiance nécessaire à toute réalisation individuelle ou collective ?

Aucune marque, aucune entreprise, aucun dirigeant, aucune communauté ─ et elles sont nombreuses ─ n’est véritablement à l’abri de dénonciations, d’allégations, d’accusations de faits graves ou de simples rumeurs*. Désormais, le silence est suspect et c’est le doute qui prend le pas. Quoi qu’il en soit, il faut agir plus que réagir, car « qui ne dit rien consent », dit le proverbe.

La perception est la réalité des marques

En ce qui touche les marques, la réputation et la confiance sont l’oxygène de leur prospérité. En effet, comme il est établi, les marques ne sont que des perceptions. Elles sont donc sujettes à toutes fluctuations de leur image. De plus, leur audience n’est jamais monolithique. Elles en ont de multiples qui constituent leur communauté d’intérêt (aujourd’hui on parle communément d’écosystème de marque). Cela concerne donc l’extérieur comme l’intérieur de l’entreprise nourricière.

Pourtant, si notoires qu’elles soient, les marques ont toutes, en leur temps, respecté une genèse immuable. Toutes, elles possèdent un berceau. Produit ou vision d’individus novateurs/fondateurs, elles sont empreintes de leurs valeurs. Elles sont par nature « entreprises humaines ». Souvent nées de la passion d’un ou deux individus. En grandissant, par nécessité de marketing, elles deviennent des constructions tripartites, impliquant formellement l’entreprise, son marketing et ─ de plus en plus ─ le consommateur lui-même. Elles ont pris une telle importance dans la vie de ce dernier, qu’elles revêtent parfois des statuts très particuliers, très privilégiés, très enviés. Ainsi, plus que performantes, elles sont influentes, porteuses et transmettrices de valeurs et de personnalités.

Ce statut est à la fois leur talon d’Achille. Plus la marque est notoire, plus elle doit être vigilante et exsangue de tous comportements délétères. Qu’ils soient hélas réels ou perceptuels.

Posture humaniste indispensable

Au Québec ou ailleurs dans le monde, les affaires récentes à propos de célébrités, d’entreprises et de communautés de tout acabit mettent de l’avant les dégâts que peuvent causer les écarts passés ou présents. Il ne nous appartient pas d’en établir la véracité ou de rendre justice. Des institutions doivent s’actualiser, se réformer. Cela met surtout en évidence la nécessité d’une réflexion profonde sur l’éthique, et peut-être aussi la morale, de toutes nos réalisations personnelles et collectives, en portant désormais un regard plus humaniste sur ce que nous appelons précisément ─ non sans cynisme ─ les relations humaines.

Jean-Jacques Stréliski

M. Stréliski est professeur associé au Département de marketing de HEC Montréal. Il est l’ancien vice-président et directeur général associé de Publicis Montréal et cofondateur de Cossette Montréal.

Sources

* Jean-Noël Kapferer, réputé spécialiste des marques, prévenait déjà, en 1987, des effets potentiels pour les marques de toutes rumeurs les concernant. Son essai, publié aux Éditions du Seuil et intitulé « Rumeurs, le plus vieux média du monde », fut un succès de librairie.