La blockchain, une technologie de stockage et de transmission sécurisée d’informations, est essentiellement connue pour son utilisation liée aux cryptomonnaies. Mais elle pourrait également jouer un rôle de premier plan dans le domaine des médias. De quel rôle s’agit-il ? Et quels avantages cette industrie pourrait-elle en tirer ?

L’application principale de la blockchain serait liée au stockage d’informations relatives aux contrats ou aux licences de droits de propriété intellectuelle, notamment dans le domaine du cinéma ou de la télévision. Pour mieux comprendre les applications concrètes de cette technologie à cet égard, il faut d’abord saisir comment fonctionnent ces secteurs d’activité.

À l’heure actuelle, pour réaliser un film ou une émission, les producteurs de contenu signent des contrats en amont avec des distributeurs avant de faire appel à de grandes équipes formées entre autres d’auteurs, d’acteurs et de musiciens pour donner vie à leur œuvre. Cette structure, bien qu’elle fonctionne pour le moment, peut toutefois très vite donner des maux de tête à tous les intervenants concernés lorsqu’il s’agit de payer les redevances et autres sommes liées aux droits d’auteur ou de propriété intellectuelle.

Et c’est ici qu’entre en scène la blockchain. Cette technologie qui permet de sauvegarder de l’information de façon sécuritaire et décentralisée. Les grands joueurs du cinéma et de la télé pourraient y avoir recours afin d’enregistrer toutes les informations ayant trait aux contrats, aux droits d’auteur et aux licences d’utilisation ou de propriété intellectuelle. Cela faciliterait notamment la rétribution de toutes les personnes ayant participé à la production d’une œuvre, notamment les auteurs et les acteurs. Ces contrats « intelligents » offriront éventuellement la possibilité de procéder à des transactions ou à des paiements automatisés.

Les grands producteurs de films et d’émissions de télé pourraient ainsi contourner non seulement les sociétés spécialisées dans la perception des redevances mais aussi certains intermédiaires comme les distributeurs. Cela se traduirait entre autres par une réduction des coûts.

Par ailleurs, la production d’une émission ou d’un film est souvent une entreprise à caractère multinational : elle peut donc s’étendre en Europe, aux États-Unis et en Asie, par exemple. Et cela implique généralement des paiements dans plusieurs devises, un autre casse-tête en raison des fluctuations des taux de change. Or, avec la blockchain, l’industrie des médias pourrait créer sa propre cryptomonnaie, grâce à laquelle elle aurait la possibilité de conclure facilement toutes ses transactions.

En ce qui a trait aux médias, notamment la presse écrite, ils pourraient eux aussi tirer avantage de la blockchain. Comment ? Une des composantes de la blockchain est la signature électronique. Les journalistes pourraient y avoir recours afin de s’assurer, par exemple, de l’exactitude et de l’authenticité d’un document transmis par courriel.

Des défis subsistent

Toutefois, cette technologie comporte quelques inconvénients. Pour fonctionner, la blockchain doit pouvoir s’appuyer sur un grand réseau décentralisé d’ordinateurs servant à sauvegarder les informations qu’elle contient. Or, la création d’un tel réseau n’est pas une mince tâche : c’est certainement beaucoup plus complexe que le maintien pur et simple du statu quo.

Un autre problème potentiel – assez surprenant de surcroît – a trait à la consommation d’électricité de cette technologie et aux coûts afférents. Quand une blockchain devient très longue et qu’on veut y ajouter des informations – des blocs –, les ordinateurs du réseau qui la soutiennent doivent effectuer beaucoup de calculs. La consommation d’énergie augmente de façon proportionnelle. Un exemple : selon certaines estimations, le bitcoin, qui utilise la blockchain, consommerait actuellement autant d’électricité que le Nigeria ou le Danemark à eux seuls.

Si les médias décident un jour d’employer la blockchain, celle-ci ne sera peut-être jamais assez longue pour que ce problème devienne un véritable obstacle. Mais c’est un risque.

Demain ou dans dix ans ?

À quand, donc, ce rôle de premier plan pour la blockchain dans les médias ? L’implantation pourrait se faire très vite : la technologie actuelle suffirait amplement. N’importe quelle personne qui sait programmer et qui possède un ordinateur peut créer une blockchain. Ainsi, la blockchain Ethereum, utilisée notamment pour générer la cryptomonnaie Ether, a été créée spécifiquement pour sauvegarder des contrats de différents types.

La mise en application concrète de cette technologie dépend donc avant tout de la volonté des gens de l’industrie et des agences gouvernementales d’aller de l’avant. Et cette volonté dépend à son tour des résultats de l’analyse coût-bénéfice qu’ils en feront.

En ce qui concerne les paiements automatisés prévus par contrat dans le domaine de la télévision et du cinéma, par exemple, la question est la suivante : la mise en place de la blockchain sera-t-elle plus coûteuse que les bénéfices qui découleront de l’élimination d’une strate d’acteurs et d’intermédiaires, notamment les distributeurs et les sociétés spécialisées dans la perception des redevances ?

La réponse n’est pas encore claire, sans compter que la question soulève des enjeux quant au modèle de financement actuel des productions audiovisuelles au Canada, mais plusieurs petits joueurs ont déjà entrepris des démarches dans cette direction. Sont-ils en train de préparer une révolution ?

Mario Samano

Mario Samano est professeur au Département d’économie appliquée de HEC Montréal.

Article écrit en collaboration avec Simon Lord