En décembre dernier, les médias ont annoncé l’achat de la 21st Century Fox par Disney pour la somme gigantesque de 52,4 G$ US. Cette énorme fusion est la dernière riposte qu’ont élaborée les gardiens de l’ancien monde du petit et du grand écran pour réagir à l’arrivée de nouveaux joueurs comme Netflix. Quelles seront les répercussions de cette transaction au sein de l’industrie ?

Tout d’abord, Netflix devra affronter une concurrence plus musclée. Avec cette transaction, Disney a maintenant accès à un large éventail de contenu et devient le propriétaire majoritaire de Hulu, qui lui servira sans doute de porte d’entrée pour la diffusion en ligne. Sauf que Disney doit arriver à maîtriser la distribution électronique. Bien sûr, Hulu, c’est très bien, mais ce n’est pas Netflix, dont la fabuleuse interface montre bien à quel point ce joueur possède une expertise unique qui lui permet de rester au-devant du marché. Bref, Disney a encore du travail à faire.

Là où le nouveau groupe risque de gagner gros, c’est dans le domaine du multiplateforme. Cette acquisition permettra en effet à Disney de faire vivre ses personnages, ses concepts et ses marques sur plusieurs plateformes à la fois, des films aux séries en passant par la télé conventionnelle, sans oublier les chaînes spécialisées, les coffrets Blu-ray, les parcs d’attractions, les produits dérivés, les croisières thématiques et autres jeux et jouets de toute sorte. Disney est un véritable champion international pour la mise en œuvre d’une telle stratégie. C’est ce qu’elle a fait avec Cars, notamment, avec un succès retentissant. Elle pourrait maintenant le faire avec la série Homeland en créant par exemple un jeu vidéo, des capsules documentaires et une attraction pour adultes à Walt Disney World, en Floride.

De nouvelles histoires pourront aussi naître, puisque Disney acquiert les droits d’une foule de séries cinématographiques et télévisuelles avec cette transaction. Les synergies et les possibilités créatives sont fort intéressantes. On pourrait donc par exemple voir les Avengers combattre aux côtés des X-Men !

Pour les producteurs de contenu québécois, cette acquisition soulève la question de savoir ce qui devrait être offert. Privilégierons-nous des produits à caractère international, sans la moindre trace de leur origine locale, ou déciderons-nous plutôt de concevoir des produits qui nous ressembleront mais qui auront néanmoins une résonance universelle ? Narcos, par exemple, a une saveur très locale, tant dans son histoire que dans sa production et sa réalisation, mais le monde entier a adoré cette série. Il n’y a pas de réponse définitive pour le moment, mais on sait néanmoins que les produits de la culture québécoise qui se sont le mieux exportés, ce sont des œuvres à très fort caractère local, par exemple celles de Mordecai Richler ou de Michel Tremblay. Peut-être, après tout, que les contenus locaux ont encore un bel avenir devant eux.

Concentration croissante

L’achat de la 21st Century Fox par Disney n’est qu’une des nombreuses illustrations de la concentration brutale du marché du cinéma et de la télé à laquelle nous assistons actuellement. La raison derrière de si grandes acquisitions est d’ailleurs simple : il ne reste pour ainsi dire que des géants dans cette industrie. En effet, tous les joueurs sont déjà issus de fusions de très grande envergure. Disney, par exemple, a récemment avalé Pixar, Marvel et Lucasfilm. Peut-être avons-nous même assisté à une des dernières mégafusions. À mon avis, nous arrivons à la fin du cycle des fusions dans ce vaste secteur d’activité.

Toutefois, lorsque des mastodontes comme celui-ci sont créés, l’appariement des cultures d’entreprise respectives peut poser un problème considérable. Disney, par exemple, est reconnu depuis des décennies pour son progressisme politique et social. C’est une des premières grandes entreprises à avoir offert des conditions de travail intéressantes à son personnel homosexuel. La 21st Century Fox, par contre, abrite Fox News. Cette chaîne est exclue de la transaction, mais il reste que l’identité du groupe est somme toute plutôt conservatrice. Ces différences culturelles pourraient donc susciter des conflits. C’est pour cette raison que la fusion entre Chrysler et Mercedes, par exemple, n’a jamais fonctionné.

C’est sans compter que ce nouveau groupe médiatique comporte une énorme diversité de produits, du contenu sportif au documentaire en passant par tout ce qui s’adresse aux enfants. Pour le moment, l’industrie juge que la création de tels géants – avec une grande variété de contenu, des coffres bien remplis et une capacité de distribution autonome – est une stratégie gagnante et rentable. Mais ces groupes gigantesques pourraient devenir difficiles à gérer de façon cohérente dans un avenir plus ou moins rapproché.

Pour réussir cette fusion entre Disney et Fox, il faudra donc faire tenir beaucoup de pièces ensemble, même s’il n’est pas évident que tout ça pourra fonctionner à long terme.

Qui sait, peut-être assisterons-nous à une désintégration de ces conglomérats plus rapidement qu’on pourrait le penser.

RENAUD LEGOUX

Renaud Legoux est professeur agrégé au Département de marketing de HEC Montréal.

Article écrit en collaboration avec Simon Lord