Article paru dans Le Devoir, 9 décembre 2013 / Sylvain Lafrance – Professeur associé, HEC Montréal, directeur du Pôle médias HEC. | Médias

Le monde des médias a changé. Et la planète francophone change également. Les prévisions récentes sur l’accroissement du nombre de francophones dans le monde au cours des prochaines décennies sont étonnantes et porteuses de bien des possibilités. Cela pour autant que nous acceptions de voir ce nouveau monde tel qu’il sera et que nous puissions nous éloigner du court-termisme qui domine trop souvent les décisions stratégiques. Car rarement jusqu’à maintenant l’occasion aura été si belle de mieux « réseauter » la francophonie ouvrant ainsi de nouvelles occasions pour les créateurs et entrepreneurs québécois.

TV5 est une réponse brillante donnée il y a trente ans par les grands acteurs de la francophonie. Le diffuseur n’a pas manqué depuis d’élargir sa diffusion pour atteindre deux cents pays et territoires et s’adapter aux nouveaux moyens de diffusion. Mais cette idée forte ne pourra seule relever les défis des nouvelles attentes des francophones en matière de communication. Il en va de même pour les diffuseurs et associations de radiodiffuseurs et de télédiffuseurs, au nord comme au sud. Tous ces joueurs opèrent en fonction de leurs structures, de leurs mandats spécifiques, voire de leurs paradigmes nationaux limitatifs alors qu’une approche globale est dorénavant nécessaire.

Les prévisions de l’organisation internationale de la francophonie devraient sur ce point nous amener à revoir totalement nos « stratégies » médias. À l’horizon 2050, le nombre de francophones dans le monde passerait, selon l’Organisation internationale de la francophonie, de 200 millions à 750 millions, avec l’Afrique au centre de ce nouveau « marché » des contenus. Ajoutons à cela une augmentation prévisible de la croissance économique de ce continent. C’est tout l’univers de la francophonie qui vient de se transformer, ouvrant des voies nouvelles de collaboration et d’échange.

Le Québec jouit sur ce plan d’une situation privilégiée. Dans les dernières décennies, la créativité de ses artisans, des différents acteurs privés et publics du monde des médias et la clairvoyance de ses institutions réglementaires ont permis l’émergence d’une « industrie » des médias et du divertissement qui réussit avec brio à rejoindre ses auditoires « domestiques ». Notre radio et notre télévision ont été des acteurs majeurs dans la construction de notre identité, aidées en cela par des mesures de protection efficaces face à l’Amérique anglophone. L’exemple original du Québec est connu et respecté, ses diffuseurs et producteurs ont de plus innovés dans les « manières » et appris à fonctionner à des coûts très concurrentiels.

Ces succès culturels québécois ont parfois des impacts retentissants sur les scènes internationales. L’enjeu, c’est maintenant, plus que jamais, de décupler nos ambitions et de « mondialiser » nos succès. La croissance des locuteurs francophones et la nouvelle donne géopolitique nous en offrent peut-être une occasion unique.

Petits et grands écrans

D’autant plus que, pendant ce temps, de nouvelles formes de communication émergent et trouvent leur niche. Internet et les réseaux sociaux bouleversent l’ordre établi. Le monde de la télévision est aujourd’hui un monde d’écrans divers, petits et grands. La mobilité bouleverse les formats et les usages. L’industrie du jeu devient un « média », et nous y occupons une place enviable. La diffusion satellitaire crée de nouveaux espaces mondiaux. Les visions « prospectivistes » d’hier deviennent réalités et créent des occasions nouvelles.

Sur ces nouvelles plateformes aussi, nous avons su innover, créer et « occuper » les champs nouveaux de l’univers numérique. Si les modèles d’affaires sont toujours à « inventer », les médias nouveaux trouvent bien leur public et prennent rapidement et sûrement leur place.

Une occasion unique, tant culturelle que commerciale.

Le temps est venu, pour l’industrie québécoise des médias, de se doter d’une stratégie numérique qui tienne compte des nouvelles réalités. Montréal et le Québec y ont une occasion unique. Et cette fois, cette ambition pourrait bien se doubler d’intérêts économiques réels.

Cela passe en premier lieu par une prise en compte de la nouvelle réalité géopolitique, où la mère patrie française, tout en demeurant le pilier central de l’expression de notre langue et de sa culture, n’est plus le seul pôle d’influence et de développement. L’augmentation du nombre de francophones en Afrique et les possibilités nouvelles de lier les francophones et les francophiles des Amériques et d’Asie sont réelles. Voici une occasion de faire rayonner la culture et le savoir-faire québécois, de favoriser le maillage avec les autres cultures francophones, et de contribuer ainsi à consolider la place du Québec comme pilier d’une francophonie ouverte sur le monde. Ajoutons simplement, et au minimum, qu’il s’agit d’une occasion d’affaires qui mérite qu’on s’y arrête. En fait, nous sommes conviés à agir dans le temps court si l’on veut demeurer dans le peloton de tête des cultures dans le temps long. La première étape, c’est de se doter d’outils pour comprendre ces nouvelles réalités.

Je ne suggère naturellement pas ici que l’Afrique ou la francophonie internationale soit l’unique planche de salut de notre industrie télévisuelle et médiatique. Mais devant les mutations technologiques et démographiques qui se préparent, nous sommes face à de nouvelles possibilités, sur des marchés où nous avons clairement un ou des avantages concurrentiels importants. Il serait dommage de rater ce rendez-vous.