Pour les artistes de l’industrie musicale, l’acquisition et le maintien d’une notoriété ne représentent plus le principal défi de nos jours. Au contraire, deux grands phénomènes semblent avoir des répercussions sur leurs valeurs et changer la façon dont ils produisent leur art : la culture du « restez vous-mêmes » (« keep it real »), qui s’impose comme un élément essentiel du marketing des artistes, ainsi que la transformation des habitudes de consommation musicale du public.

Le premier phénomène fait référence aux artistes qui réussissent à rester authentiques et fidèles à eux-mêmes et qui ne renient pas leur intégrité dans le seul but de générer des profits, et ce, malgré le fait qu’ils évoluent dans une industrie où l’entretien d’une certaine image est à la base du succès (Hracs et al., 2016). Ainsi que l’a affirmé Katonah Rafter, vice-présidente marketing de l’agence américaine Fame House, « il est essentiel […] de ne jamais sous-estimer le facteur de l’authenticité. Nous essayons donc de susciter des liens avec les fans qui soient fondés sur des émotions profondes et sincères » (cité dans Etlinger, 2016). Par conséquent, dans le domaine artistique, nous définissons l’authenticité de la façon suivante : perception selon laquelle un artiste fait preuve d’un talent et d’une originalité qui reflètent son vrai soi et agit en fonction de motivations intrinsèques, de façon cohérente avec ses valeurs profondément ancrées et non dans le seul but de plaire au marché, d’attirer l’attention ou de générer des profits, le tout de façon stable et continue dans le temps (Armstrong, 2004 ; Ilicic et Webster, 2016 ; Mattsson et al., 2010 ; Moulard et al., 2015 ; Moulard et al., 2014 ; Preece, 2015).

Le second phénomène, pas nouveau mais toujours actuel, concerne les changements constants des comportements qu’adopte le public en matière de consommation de musique, notamment le piratage et l’utilisation de plateformes de streaming (IFPI, 2015). Puisque les ventes d’albums ne représentent plus la principale source de revenus pour les artistes, ceux-ci doivent se tourner vers d’autres moyens, par exemple les concerts ou les contrats publicitaires. Ainsi, notre étude avait pour objectif principal de saisir les effets de l’authenticité perçue d’un artiste sur certaines variables, parmi lesquelles la volonté de payer pour se procurer un billet de concert ou un produit dont cet artiste aurait fait la promotion, l’intention de pirater sa musique ainsi que la qualité perçue de son œuvre musicale.

Afin de vérifier notre hypothèse, nous avons créé de toute pièce un nouvel artiste, Hugo Miller, et avons élaboré des scénarios le présentant de façon faiblement et fortement authentique. À titre d’exemple, un artiste faiblement authentique modifie sa voix en ayant recours à des artifices électroniques, suit les tendances, dit ce que le public veut entendre et cherche à attirer l’attention, alors qu’un artiste fortement authentique est tout le contraire. Par ailleurs, nous avons présenté une chanson intitulée Inside Your Mind de Gypsy & The Cat, un groupe émergent australien, puisque celle-ci était inconnue du public cible et qu’il était donc possible de faire croire qu’il s’agissait d’une chanson de Hugo Miller. Au total, plus de 80 participants (résidant aux États-Unis et âgés de 25 à 34 ans) ont répondu à notre questionnaire portant sur les éléments suivants : Hugo Miller lui-même, la qualité de la musique de cet artiste (fictif), leur volonté de payer pour assister à un de ses concerts ou pour acheter une paire d’écouteurs dont il aurait fait la promotion ainsi que leur intention de pirater sa musique.

Les résultats obtenus indiquent que les participants ont attribué un score moyen de 4,32 sur 7 à la qualité de la musique de Hugo Miller lorsque celui-ci était présenté de façon inauthentique, alors que ce score augmentait à 5,21 sur 7 dans le scénario de l’authenticité. De la même façon, ils étaient prêts à payer jusqu’à 22,15 $ US pour assister à un concert de cet artiste dans le premier cas et 33,05 $US dans le second, ce qui représente une augmentation de 49,2 %. En ce qui concerne le produit promu, ils avaient l’intention de payer seulement 36,07 $ US pour acheter la paire d’écouteurs dans le cadre du premier scénario, mais ce prix augmentait à 52,03 $ US dans le second. Toutefois, contrairement à nos prévisions, les participants avaient davantage l’intention de pirater la musique de Hugo Miller lorsqu’il était présenté et considéré comme étant fortement authentique. En revanche, cela pourrait tout simplement signifier qu’ils avaient davantage l’intention de consommer sa musique, le piratage étant pratiqué par plus de 66 % des participants (Moulard et al., 2014).

En somme, les résultats de nos travaux indiquent que des caractéristiques abstraites comme l’originalité, la discrétion et l’affirmation de valeurs en lesquelles l’artiste croit profondément ont des conséquences directes sur ses revenus ainsi que sur ceux des marques auxquelles il s’associe. Ainsi, nous pouvons affirmer qu’il est important de ne pas négliger cet attribut dans le management d’une image de marque.

Afin d’aller un peu plus loin dans votre réflexion sur le thème exploré, cliquez ici pour consultez le court rapport d’expertise des auteurs sur l’impact de l’authenticité perçue d’un artiste sur le comportement financier des consommateurs.

Émilie Tremblay et Danilo C. Dantas

Émilie Tremblay est titulaire d’une maîtrise en marketing de HEC Montréal et Danilo C. Dantas est professeur agrégé au Département de marketing de HEC Montréal.

Armstrong, E. G., « Eminem’s Construction of Authenticity », Popular Music and Society, vol. 27, n° 3, 2004, p. 335-355.

Etlinger, S., The Data-Driven Business: How Industry Leaders Use Data to Create Value (rapport de recherche), Altimeter, A Prophet Company, 2016, 31 p.

Hracs, B. J., M. Seman et T. E. Virani, The Production and Consumption of Music in the Digital Age, New York, Routledge, 2016, 278 p.

International Federation of the Phonographic Industry, IFPI Digital Music Report 2015, 44 p.

Ilicic, J. et C. M. Webster, « Being True to Oneself: Investigating Celebrity Brand Authenticity », Psychology & Marketing, vol. 33, n° 6, juin 2016, p. 410-420.

Mattsson, J. T., M. Peltoniemi et P. M. T. Parvinen, « Genre-deviating artist entry: the role of authenticity and fuzziness », Management Decision, vol. 48, n° 9, 2010, p. 1355-1364.

Moulard, J. G., C. P. Garrity et D. H. Rice, « What Makes a Human Brand Authentic? Identifying the Antecedents of Celebrity Authenticity », Psychology & Marketing, vol. 32, n° 2, 2015, p. 173-186.

Moulard, J. G., D. H. Rice, C. P. Garrity et S. M. Mangus, « Artist Authenticity: How Artists’ Passion and Commitment Shape Consumers’ Perceptions and Behavioral Intentions across Genders », Psychology & Marketing, vol. 31, n° 8, 2014, p. 576-590.

Preece, C., « The authentic celebrity brand: Unpacking Ai Weiwei’s Celebritised Selves », Journal of Marketing Management, vol. 31, n° 5, 2015, p. 616.

Ce texte basé sur les travaux de recherche d’Émilie Tremblay et de Danilo Dantas.