Les organismes culturels contribuent à l’avancement accéléré de la recherche en marketing de données en raison notamment de leur grand intérêt à partager leurs informations. Ce faisant, non seulement ils font progresser le savoir, ils s’assurent également d’intensifier leur rayonnement. Voici comment.

Il existe actuellement trois grands axes de recherche en marketing de données. Le premier porte sur les organisations ainsi que sur leurs façons de fonctionner et de prendre des décisions. Le deuxième a pour objectif de déchiffrer le comportement du consommateur, c’est-à-dire, ici, le spectateur ou le public. Le troisième se penche sur les œuvres elles-mêmes dans le but de comprendre, par exemple, les déterminants de leur performance économique.

Avec mes collègues, j’ai notamment réalisé deux études qui suivent ces axes de recherche.

Le premier article, en collaboration avec mes collègues Denis Larocque et Sandra Laporte ainsi que deux étudiants, Soraya Belmati et Thomas Boquet, a été publié l’an dernier*. Il visait à vérifier si la critique avait un effet commercial sur les films seulement en raison de son influence sur le consommateur. Nous avons donc analysé des données massives de Cinéac sur les entrées au cinéma, par film et par semaine, depuis le début des années 2000. Notre conclusion ? Les films qui reçoivent d’excellentes critiques restent à l’écran plus longtemps, même en tenant compte de leur performance au cours des semaines précédentes. Cela suggère que la critique influence la décision des propriétaires de salles de cinéma à continuer à offrir un film ou pas. La critique influence donc le succès commercial d’une œuvre en raison de son effet non seulement sur les décisions des consommateurs mais aussi sur celles des intermédiaires.

Le deuxième article, co-écrit avec Tara McGrath et Sylvain Sénécal, doit paraître sous peu dans le Journal of Cultural Economics**. Dans ce texte, mes collègues et moi voulions étudier les enjeux et les problématiques du financement des orchestres canadiens. Rien de tel n’avait été fait au pays auparavant. La littérature traitait surtout des organismes américains et nous avions l’intuition que la situation était différente ici. Au final, nous avons scruté les données de 44 orchestres du Canada sur une période de sept ans. Nous avons découvert que les orchestres canadiens sont plus disciplinés financièrement que leurs vis-à-vis américains et que cette saine gestion est attribuable notamment aux règles et exigences des divers bailleurs de fonds publics, qui les financent à la hauteur de 30 ou 40 %. Une étude comme celle-ci profite naturellement aux orchestres eux-mêmes puisque leurs gestionnaires savent maintenant ce qu’ils font de bien. Ils peuvent donc utiliser ces faits avérés pour documenter leur bonne gestion, attirer davantage de fonds et assurer leur pérennité.

Un milieu enthousiaste

Comparativement à d’autres industries ou secteurs d’activité, le domaine de la culture est un terreau très fertile pour faire progresser la littérature scientifique portant sur le marketing de données. En effet, les acteurs du milieu culturel sont ouverts et enthousiastes à l’idée de collaborer avec le milieu universitaire pour faire avancer la recherche, et ce, pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, les gens du milieu artistique sont naturellement passionnés. S’ils ont choisi la culture, c’est parce qu’ils y croient vraiment. On ne choisit par l’art pour l’argent. Les gestionnaires sont donc curieux, allumés, mobilisés et impliqués. Ils veulent savoir. Ils ont envie de connaître les dynamiques de leurs organisations et de leur marché. Quand on leur donne un coup de fil pour leur dire qu’un de nos étudiants à la maîtrise aimerait avoir accès à leurs données dans le cadre de son mémoire, ils nous rappellent toujours. L’intérêt est tangible.

Ensuite, on observe que le milieu des arts vivants éprouve le besoin de s’ouvrir au phénomène des données. On sait qu’il faut pouvoir mieux connaître le public afin de s’assurer qu’il ne déserte pas les salles pour consommer plutôt de la culture à la maison par d’autres moyens, comme Netflix. Les données constituent un solide levier économique qui permet aux organisations de répondre aux défis qui les attendent et d’assurer leur rayonnement.

Enfin, le milieu culturel ne baigne pas dans l’argent. Ainsi, l’expertise technique nécessaire à l’analyse des données est parfois au-delà de ses moyens. Lorsque se présente une occasion de laisser le milieu universitaire exploiter ses données pour ensuite lui livrer un savoir potentiellement très utile, le domaine culturel est généralement emballé.

Une recherche féconde et pratique

La mutualisation des données, c’est-à-dire la mise en commun des données de plusieurs organismes du domaine culturel, est porteuse de grandes promesses. C’est d’ailleurs ce qu’ont fait en mars dernier 19 organismes culturels du Quartier des spectacles en collaboration avec l’entreprise Aimia. L’Institut de valorisation des données, une organisation à laquelle est associée HEC Montréal et qui a pour vocation de regrouper des professionnels et des chercheurs afin de développer l’expertise notamment dans les sciences des données, était aussi de la partie.

Grâce à cette collaboration, les organismes culturels savent maintenant, par exemple, que les gens qui achètent des billets de concert le font plutôt le midi et que le public qui achète des billets d’opéra le fait plutôt vers l’heure du souper. Cette première expérience de mutualisation des données a mené à la création du Carrefour de philanthropie des données, que je dirige avec mon collègue Marc Fredette, professeur titulaire au Département de sciences de la décision de HEC Montréal. Ce carrefour vise à mettre en rapport les organismes à but non lucratif (OBNL), les universités et les entreprises dans une optique de formation et de transfert de connaissances dans le domaine de la science des données.

On peut affirmer que ce ne sont pas les occasions de recherche qui manquent pour l’instant. Il y a tellement de données et si peu de recherche effectuée à ce jour qu’il devient même difficile de décider quel chemin suivre.

Comment choisir la voie à emprunter, le sujet à étudier ? Je pense qu’il faut avant tout s’assurer d’être pertinent pour le gestionnaire. Nos conclusions doivent être utiles aux organismes culturels. Personnellement, j’étudie le milieu de la culture parce que j’aime les arts. Il est donc important pour moi d’aider les gestionnaires à bien mener leur entreprise.

Un organisme culturel bien géré est un organisme prêt à rayonner.

Renaud Legoux

Renaud Legoux est professeur agrégé au Département de marketing de HEC Montréal.

Article écrit en collaboration avec Simon Lord, journaliste

* Legoux, Renaud, Larocque, Denis, Laporte, Sandra, Belmati, Soraya, et Boquet, Thomas, « The effect of critical reviews on exhibitors’ decisions: Do reviews affect the survival of a movie on screen? », International Journal of Research in Marketing, vol. 33, no 2, 2016, p. 357-374.

** McGrath, Tara, Legoux, Renaud, et Sénécal, Sylvain, « Balancing the score: the financial impact of resource dependence on symphony orchestras », Journal of Cultural Economics, 2016, p. 1-19 (statut : en ligne).

 


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