Depuis quelques années, Netflix bouscule la vieille garde de l’industrie cinématographique – sans parler des gouvernements – dans une trame narrative fortement teintée d’enjeux de distribution. Au même moment, d’autres nouveaux joueurs émergent et les anciens se renouvellent. Que se passe-t-il donc dans l’industrie du cinéma ?

Ce à quoi nous assistons est un ensemble de phénomènes assez classiques qui ont touché bien d’autres secteurs d’activité. Je pense notamment à la désintermédiation et à la réintermédiation dans le domaine de la distribution de films. Toutefois, la dynamique la plus importante est sans doute l’intégration verticale, soit la tendance d’un acteur de l’industrie à jouer un rôle préalablement occupé par plusieurs intermédiaires de distribution. On le voit avec Netflix : c’est un intégrateur redoutable qui fait complètement exploser les catégories classiques. Non seulement il distribue des films et des émissions de télé, mais il programme et produit aussi du contenu, en plus de diffuser le contenu des autres.

Toutefois, ce rôle de perturbateur de l’industrie rend parfois la vie compliquée à Netflix. Cette entreprise s’est par exemple fait huer au printemps dernier au Festival de Cannes, principalement par les vieux joueurs du cinéma. Elle se retrouve également au cœur de débats partout dans le monde au sujet de la taxation de son service, notamment au Québec avec ce qu’on appelle la taxe Netflix.

Cette entreprise est exceptionnelle parce qu’elle a changé de modèle d’affaires trois fois, un exploit que même Google et Microsoft n’ont jamais réussi complètement. À ses débuts, Netflix expédiait par courrier des DVD que les consommateurs lui retournaient ensuite de la même façon. C’était alors une entreprise de logistique. Quand la diffusion en continu sur Internet, ou streaming, est devenue plus populaire, l’entreprise a mis à la porte ses logisticiens pour les remplacer par des programmeurs et a commencé à diffuser du contenu en ligne. Elle adoptait ainsi son deuxième modèle d’affaires. Se sentant menacée, l’industrie s’est alors mise à lui fournir de moins en moins de contenu de qualité. En réponse, Netflix s’est transformée une nouvelle fois et a commencé à produire son propre contenu : troisième modèle d’affaires. L’an prochain, elle devrait dépenser huit milliards de dollars en production de contenu.

Pour le consommateur québécois, il y a un risque de voir moins d’œuvres qui lui ressemblent. Il est vrai que Netflix, compte tenu de son statut de géant mondial du streaming, peut prendre davantage de risques et offrir des produits nichés : séries sur l’histoire, documentaires à caractère social, moyens métrages, etc. Mais la culture est un vecteur d’identité, et un gros joueur comme Netflix est plutôt réfractaire à l’idée d’un marché local ou d’un grand nombre de marchés locaux. En d’autres mots, Netflix a peu à faire de l’identité canadienne et québécoise.

Les autres acteurs

Plusieurs acteurs ont jusqu’à présent tenté de trouver un filon intéressant dans cette industrie changeante. Certains ont plus de succès que d’autres. Shomi, par exemple, le service de vidéo en continu de Rogers et de Shaw qui voulait concurrencer Netflix sur le marché canadien, n’a pas fonctionné : il a fermé en novembre 2016. Mais Roku, qui vend des boîtiers Internet pour téléviseurs, se débrouille bien. YouTube prévoit bonifier sa programmation et Amazon produit de bonnes séries télévisuelles. Tout le monde cherche un modèle pour profiter des nouveaux modes de diffusion. Tout le monde veut se différencier. Même les vieux joueurs se transforment en offrant de nouveaux services.

Les cinémas, par exemple, ont perdu leur fenêtre de distribution exclusive et doivent donc déterminer ce qui les rend particuliers. Leur avantage concurrentiel peut être, bien entendu, la taille de l’écran : certains films sont tout simplement meilleurs au cinéma. Blade Runner 2049, par exemple, est hypnotisant lorsqu’on le voit en salle. Même chose pour Arrival, un autre film de Denis Villeneuve : je l’ai vu au cinéma et aussi sur une télévision, et ce n’est absolument pas la même expérience.

Le Cinéma Dollar, lui, se distingue en étant très abordable. À l’autre extrémité du spectre, les cinémas VIP misent sur une clientèle de 18 ans et plus qui peut commander de l’alcool, qui désire profiter d’un siège confortable et qui préfère éviter les planchers collants. Mais le prix est plus élevé. Plusieurs cinémas diffusent des manifestations sportives ou des manifestations artistiques, comme les spectacles du Metropolitan Opera. D’autres salles, souvent en région, ont décidé d’opter pour l’événementiel et de jouer de nouveau un rôle central dans leur communauté. En moyenne, un cinéma est occupé à moins de 20 % de sa capacité, un chiffre qui cache la réalité suivante : une salle de cinéma est souvent pleine le samedi soir mais vide le mercredi après-midi, une plage horaire qui convient bien à diverses activités d’entreprises.

Le monde du cinéma et de la télé n’a donc pas fini de se transformer. Netflix s’emparera-t-elle de l’ensemble du marché ? Quelle sera l’issue des combats entre les différents acteurs de l’industrie ? Quels joueurs sortiront vainqueurs ? C’est à suivre.

Renaud Legoux

Renaud Legoux est professeur agrégé au Département de marketing de HEC Montréal.

Article écrit en collaboration avec Simon Lord.